Ce n'était pas si désagréable, conclut-il, en évitant soigneusement de se demander si c'était critiquable ou pas.
Puis son humanité fit une brève apparition à son esprit ambivalent. Il réalisa qu'il reportait sur Kaitleen ce que dictait sa virilité, et qu'avait rejeté l'immortelle. La louve ne lui avait rien fait de mal, bien au contraire. Pourtant, il allait la blesser, s'il se laissait aller à cela. Sloan savait qu'il devait la protéger de lui tant que la situation risquait de lui être préjudiciable. Il s'en sentit pourtant incapable. La bête en lui ne s'embarrassait pas de telles considérations, elle n'écoutait que ses instincts primaires. Or pour le moment, elle était plus forte que son humanité. Il se demanda vaguement pourquoi il ne se sentait pas inquiet, à ces pensées sombres. Même la pensée que c'était parce que son côté loup étouffait sa personnalité initiale ne parvint pas à percer la chape d'assurance ancrée à son esprit.
Au demeurant, après avoir connu la vampire, il aurait certainement du mal à trouver quelqu'un frais au réveil ou après l'amour, rectifia-t-il sa pensée. Kaitleen sortit de la salle d'eau. Il dut admettre que c'était mieux, tout de même. Elle avait passé un pantalon noir parcouru de très fines rayures blanches dans le sens de la longueur, et un haut noir et blanc à fines bretelles, finissant en pointe sur le côté. Des bijoux assortis, un maquillage discret. Oui, c'était joli, il fallait le reconnaître. Ils ne parlèrent pas davantage avant de sortir, simplement il se leva et la suivit jusqu'à la porte de chez elle. Elle frappa machinalement chez Céleste. Son amie ouvrit au bras d'Antoine qui jeta un regard condescendant à la jolie rousse.
- On va boire un verre, si tu veux venir, Céleste.
Les mots, cassants, vrillèrent les oreilles de Sloan. Il se sentait coléreux, également. Comme si la tension ambiante attisait son côté bestial.
- Avec plaisir, sourit-elle, laisse-nous une minute.
Sloan sentit son agacement atteindre un pallier supplémentaire. Tous ces enfantillages l'agaçaient. Là Antoine fixait Kaitleen, cherchant visiblement quelle pique lui envoyer pour la gêner encore davantage.
- On vous attend en bas, déclara Sloan en entraînant doucement la jeune femme vers l'ascenseur.
- Ça y est, tu t'es jetée pour la énième fois dans les bras de n'importe qui, Kaitleen ? Railla l'autre mâle.
Elle se raidit mais Sloan la poussa dans l'habitacle. Lorsqu'ils furent à l'intérieur elle lui signifia d'un regard qu'elle n'appréciait pas qu'on la traite comme une enfant de la sorte.
- Et tu n'as vraiment pas été sa meilleure trouvaille, répliqua-t-il alors que les portes se fermaient sur nous.
Ils se défièrent un instant du regard. Puis elle flancha et son cœur à lui fit un bond. Lorsque sa peine à elle put se lire sur ses traits constellés de taches de rousseur, toute sa colère à lui s'évacua en un souffle.
- Qu'est-ce qui te vaut sa colère ? S'enquit-il d'une voix basse et grave.
- Rien de spécial.
Elle avait parlé trop vite pour que sa réponse fût sincère. Son regard trop fuyant en disait long, également.
- Alors pourquoi vous êtes-vous séparés ? Précisa-t-il, un peu plus durement.
Il n'avait aucun droit sur elle, alors il n'aurait pas dû adopter cette attitude. Il en avait conscience. Il savait aussi qu'à ses yeux à elle, il se dévoilait, en se le permettant. Il releva encore le menton. Autant assumer les conséquences.
- Il multipliait les œillades à Céleste, répondit-elle lentement. J'ai préféré le devancer, voilà tout.
Ils se turent. Ils passèrent la porte un instant plus tard. L'air nouveau fit du bien au lycanthrope. Il posa une question sur les origine des lycanthropes, pour changer de sujet. Il apprit qu'elle était inconnue. Mais il y avait des mythes : on parlait d'un chien demi-Dieu croisé d'un elfe qui aurait eu momentanément la forme d'un canidé à cause d'un sort puissant, par exemple. Mais non, s'empressa-t-elle de lui répondre, personne ne savait si les elfes existaient vraiment, ici ou ailleurs. Elle n'y croyait pas elle-même. Sloan rappela l'attitude des lycanthropes depuis qu'il était rentré ce soir-là avec force exagérations comiques.
Lorsque les portes s'ouvrirent sur le couple qu'ils attendaient au rez-de-chaussée, elle riait à gorge déployée. Mais ni aucun d'eux ne rata l'œillade de Céleste qui signifiait clairement qu'un homme qui fait rire une femme gagne un passe pour le chemin de son cœur, plus sûrement que par un bouquet de roses rouges sous papier brillant. Sloan trouva une nouvelle fois qu'il n'avait rien à faire au centre de leurs enfantillages. Il secoua la tête et répondit à la question qu'on lui posait : est-ce que ça lui plairait un cinéma après ce verre. Il y avait ce film fantastique que tout le monde voulait voir, c'était l'occasion. Il refusa distraitement, s'apprêtant même à finalement décliner le verre également.
Mais alors Antoine adressa à la rouquine un regard non seulement moqueur, mais d'une méchanceté qui le dépassa, au début. Puis sa colère revint. Céleste adressa au lycanthrope qui l'accompagnait un regard d'une noirceur qu'il apprécia lui-même beaucoup.
- Kaitleen, murmura Sloan d'une voix basse, mais vibrante de colère.
Il amorça un pas en arrière, sans la quitter des yeux. C'était un coup de poker, la louve aurait pu ne pas comprendre ce qu'il faisait. Mais elle amorça un regard dans sa direction. Ils s'apprêtèrent à rentrer à l'immeuble. Le regard brun clair de Céleste s'assombrit profondément.
- Va-t-en, Antoine, ordonna-t-elle sèchement.
C'était sans appel. Le jeune loup s'attendit à le voir leur imposer sa présence. Mais le lycanthrope se contenta de diffuser toute sa haine dans l'air autour d'eux, avant de rebrousser chemin élégamment. Ensuite les femmes se sourirent et ils reprirent la route. Sloan respecta avec plaisir leur soudaine connivence.
extrait suviant :http://fantastique.roman.over-blog.fr/2014/06/le-destin-des-immortels-nouvelle-publication-112.html