Le vampire avait raison. Le lycaon la prit par la main :
- Viens avec moi.
Il la tira jusqu'au champ, inspira un grand coup pour ordonner les idées dans sa tête. Pour une fois le désordre qui y régnait n'avait rien à voir avec le désir. Le vent produisait autour d'eux un bruit de fond trop paisible pour les circonstances, tout comme le regard brun de l'immortelle, ce qui l'agaça.
- Je t'aime toujours, prononça-t-il. Tu es celle qui m'a sauvé. Tu m'as donné une raison de vivre pendant des années. Je t'ai aimée comme un homme aime une femme. Mais pas seulement. Nous ne serons plus amants, mais pour moi nous resterons les meilleurs alliés que la terre aie jamais portés. C'est toi qui as commencé à t'éloigner, t'en es tu aperçue, Shalimar ?
La statue de glace se craquela alors que la façade chaleureuse s'effaçait au profit d'une expression concentrée.
- Parle-moi, bon sang, grogna-t-il sourdement.
Un nouveau souffle d'air rythma le silence. Le lycaon luttait pour conserver son calme. Quelque-chose d'extérieur à tout cela lui compliquait discrètement la tâche. Avec non moins de hargne, il finit par l'identifier. C'était l'animosité ancestrale qui opposait sa race à celle de l'autre créature, si froide et calculatrice alors que lui était de ceux qui réglaient les choses avec le coeur.
- Je n'ai rien à expliquer, commença-t-elle tendue.
Un grondement se forma dans la gorge du loup-garou. Shalimar demeura attentive, visiblement prête à affronter le danger qu'il représentait. Lorsqu'il fut certain qu'il se maîtriserait, elle diffusa entre eux quelque-chose de doux. Ses sens à lui, devenus plus puissants, l'identifièrent aussitôt comme quelque-chose évoquant la reconnaissance, le respect. La vague immatérielle se termina en amour. Cela coupa le souffle à l'homme-loup.
- J'ai fait du passé une bulle de bonheur, reprit la vampire, si bas qu'il l'entendit à peine. Elle bat à la place de mon cœur. Le futur s'ouvre devant nous, et je t'y vois comme la bouffée de vie que tu as toujours été. Si d'amant tu deviens mon plus précieux allié, alors rien n'est perdu, le bonheur n'est pas terminé.
D'un pas en avant, elle vint se poster face à lui, très près, comme ils ne l'avaient pas été depuis des semaines. La bête se sentait au bord du gouffre. Elle allait perdre le contrôle, d'une seconde à l'autre. La transformation se produisit brutalement, si bien que la vampire dut reculer d'un pas, à cause de l'ampleur que venait de prendre le corps de Sloan. Il se laissa tomber au sol, les ongles plantés dans la terre. Dans un grognement de douleur, il reprit forme humaine. La créature franchit de nouveau la distance de politesse. Cette fois le lycaon ne se transforma pas, fatigué par la mutation précédente. Ou peut-être apaisé, il n'aurait pas su dire.
- Serre-moi dans tes bras, sollicita aussitôt Shalimar.
Il le fit avec plaisir. A présent que la façade était tombée elle était de nouveau celle qu'il connaissait comme lui-même. Il caressa son visage et enfouit la main dans ses cheveux d'ébène, alors qu'elle posait un doux baiser sur son front. Elle revint à ses yeux pour conclure :
- Ta louve rousse n'a qu'à bien se tenir. Tu mérites de grandes choses, mais si tu l'as choisie je suis sûre qu'elle peut te l'offrir et te donner le besoin de le lui offrir en retour.
-
Il la serra fort, tandis qu'un sourire immense naissait sur ses propres lèvres. Voilà ce qu'il était venu chercher, des mots tendres dits et reçus, ni plus ni moins, pour clore une relation et en rouvrir une immédiatement, avec exactement les mêmes personnes, mais sur d'autres bases. Il la tint par la taille alors qu'ils retournaient à l'intérieur. Pendant ces quelques pas, cela donna la sensation à Sloan que finalement, il leur restait une sorte d'humanité. La soirée passa paisiblement, comme si rien de surprenant n'était arrivé. Sloan considéra que c'était peut-être réellement cela.
A une heure du matin il partit pour rejoindre la rouquine. Kaitleen l'attendait nerveusement mais lorsqu'elle le vit un incontrôlable sourire répondit au sien sur ses lèvres pleines. Il la fit tournoyer et elle rit d'un bonheur mêlé de soulagement. Il lui prit un baiser, puis un autre ; bientôt il ne put plus s'arrêter d'embrasser sa bouche souriante. Il avait tellement envie d'elle ! Elle finit par s'éloigner, soudain crispée. Perdu, il lui adressa un regard interrogatif.
- Tu as une façon effrayante de manifester ton désir, souffla-t-elle. J'ai l'impression d'être au bord d'un précipice qui ne demande qu'à me happer vers des espaces obscurs.
- Laisse-moi dormir avec toi ce soir, fit-il d'une voix brûlante, n'aie pas peur de moi.
Elle secouait la tête, craintive. En silence ils se prirent la main pour rentrer à la maison. Ce n'était plus l'immeuble aux lycans, plus maintenant qu'il y aimait Kaitleen.