• Le destin des immortels - nouvelle publication

  - Sors de la voiture, ordonna-t-il finalement.

Elle rouvrit brusquement les yeux et se hâta d'obéir. C'était ce genre d'ordre-là.

Elle trouva la leçon simple, parce qu'elle avait déjà des notions en matière de circulation routière, accumulées au fil des ans. Elle trouva surtout déstabilisant de se plier aux règles, qu'elle trouva mesquines et futiles. Elle se sentit à l'étroit dans la salle, entourée de trop de gens. Elle quitta donc la leçon avec un plaisir non dissimulé. La rue lui fit un bien fou, comme si elle retrouvait une amie complice, perdue depuis trop d'heures. Elle se sentit libre et eut peur de s'y habituer. Elle poussa tout de même la porte du spa où elle avait rendez-vous. On la fit patienter un moment, pendant lequel elle se demanda si elle ne prendrait pas plus de plaisir à faire un tour au grand air qu'à demeurer immobile sous les doigts d'une professionnelle. En réalité la masseuse la détendit bien plus qu'elle ne l'aurait cru. A tel point qu'elle se mit à craindre la redescente, lorsqu'elle sortit du salon de massages, un sourire bête plaqué au visage.

Pourtant lorsqu'elle rentra à l'appartement avec sa propre clef un drôle de sentiment s'empara d'elle. Un peu grisant. Elle rentrait chez elle, malgré tout l'effroi que cela lui procurait de cohabiter avec Sofiane. Elle rejoignit le vampire qui jouait à la console, aussi anachronique que cela pût paraître. Elle comprit que ses réflexes contre-nature lui ouvraient des horizons insoupçonnés. Elle le regarda jouer un moment, en silence, ce qu'il respecta, après les salutations d'usage. Elle lui en fut reconnaissante. Ensuite elle écrivit sa lettre sur les bruits du jeu, une quête magique d'après ce qu'elle comprenait.

«  Sloan, d'abord félicitations, tu fais de gros progrès en Mathématiques. Qu'arrive-t-il à Claudia ? Elle n'a pas l'air dans son assiette. Quelles sont les matières du matin, est-ce que ça se passe bien ? Le roux t'a-t-il encore ennuyé ? De mon côté ça va mieux. Tu avais raison, garçon, je ne me sentais pas très bien. Ma famille m'a reprise en main. Mon frère a changé, écrivit-elle après une hésitation. Il prend soin de moi, maintenant. J'habite chez lui, c'est un palace. Il m'a trouvé un travail agréable, et bientôt je pourrai passer mon permis de conduire. J'ai même fait une séance de spa tout à l'heure, le pied, tu verras un jour. Mais il m'est toujours interdit de te voir, garçon, je suis désolée. On négocie mal, avec mon frère. Je ne peux pas te dire pourquoi, Sloan, contente-toi de me croire quand je te dis que si c'était possible je saisirais n'importe quelle occasion. Je suis désolée de t'avouer qu'en fait ça n'a pas grand chose à voir avec le logement, c'est que ma famille est peu commune, et que son originalité l'oblige à respecter beaucoup d'interdits. Dis-toi que quand tu vois Shali c'est un peu moi que tu vois. On s'écrit, c'est presque pareil, non ? Et tu me sens derrière toi, je te communique ma force. Tu verras, un jour tu te lèveras en pouvant presque me voir à force de m'avoir sentie près de toi. Surtout pense à toutes les belles choses que tu feras à dix-huit ans, quand tu quitteras l'orphelinat. A toi les sorties entre amis, les cinémas, les filles... Hé tu es déjà très mignon, tu seras un vrai tombeur, bientôt, je te le garantis. Les filles adorent les bruns ténébreux. Promets-moi de ne pas briser trop de cœurs, d'accord ? Pour la chauve-souris et bien je l'ai recueillie au berceau, elle me prend pour sa maman, voilà pourquoi elle m'obéit. N'oublie pas de ne pas lui faire peur en t'approchant trop près, imagine si elle s'échappe, comment ferons-nous ? J'aime beaucoup le nom que tu lui as donné. Elle y répond déjà. Mon prince charmant, vaste programme. Il est brun aux yeux verts. Il est commercial, ces types sont experts en séduction. Et il vient de gagner au loto, d'où son incommensurable richesse. Il a trente ans, en dessous les hommes ne sont pas matures. Et toi, ta princesse ? Merci pour ta discrétion sur moi, garçon, ma famille compte sur toi ! Bonne nuit, et couche-toi plus tôt, mes courriers ne vont pas s'échapper, or à ce rythme tu vas te ruiner la santé. Shalimar. »

Elle jeta doucement le stylo devant elle. D'abord, elle demeura inerte. Puis elle revint à la réalité. Ce fut difficile. Elle effleura le bras de Sofiane. Il posa la manette, mit quelques secondes à comprendre qu'elle avait terminé. Il lut à haute voix. Bien vite il planta sur elle un regard satisfait, tel un lion fier de son lionceau après la première chasse. Ce genre d'expressions avaient semblé tellement impossibles sur le visage du vampire pour Shalimar qu'elle en fut déstabilisée.

• - Tu pourrais me remercier, fit-il remarquer, très sérieux.

  Le destin des immortels - nouvelle publication - 28.