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Le destin des immortels - nouvelle publication
- Tu es heureuse avec lui ? La questionna-t-il, ce qui manqua lui arracher un rire jaune.
Elle hocha la tête, pour que Sofiane ne l'entende pas mentir. Mais troublée, elle se demanda si c'était bien le cas. Elle avait aimé être dans ses bras. Pendant quelques secondes, elle se perdit dans les méandres de ses doutes. Elle n'aimait pas les nuances qui paraient désormais sa vie. Avant Sloan, tout était d'un gris fade. Aujourd'hui, trop de choses lui tenaient à cœur. Elle ne se sentait pas assez forte pour assumer cela.
Elle leva les yeux sur ceux de l'humain, qui suppliaient en silence. Elle se sentit idiote. Bien sûr qu'elle était assez forte. C'était simple, pour l'immortelle qu'elle était. Elle avait assez sommeillé. A présent, elle devait se donner les moyens de saisir les nouvelles opportunités qui se présentaient. D'une voix forte mais calme, elle expliqua l'intérêt des couvertures sur le même ton didactique qu'elle aurait pu employer pour lui apprendre à compter.
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- Mais vous vivez comme un couple, dans l'intimité ?
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- Pas vraiment. Sloan. Ne m'en demande pas plus. Je ne sais pas où j'en suis, est-ce que cela ne se voit pas ?
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- Je veux juste savoir si vous couchez ensemble. Pour le reste je peux attendre. Je t'ai attendue pendant quatorze ans, j'en ai l'habitude.
L'immortelle comprit où il voulait en venir. Elle entrevit le cadeau qu'il lui proposait. Elle se demanda au nom de quoi il devrait l'attendre, alors que sa vie d'humain, si courte, ne lui laissait que si peu de temps pour profiter de ce que pouvait lui offrir ce monde. Elle puisa dans son cœur, pour se donner prudemment la peine de comprendre. Mais dès qu'elle commença, elle fut saisie d'une peur panique. Elle referma immédiatement la brèche, comme si elle avait faillit tomber et s'éloignait précipitamment du précipice.
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- Nous ne couchons pas ensemble, répondit-elle simplement.
Elle ressentait à présent du respect pour lui, qui s'ouvrait aux sentiments qui lui faisaient si peur.
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- Parfait. Pourras-tu me le dire si ça arrive un jour ?
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- Cela ne risque pas de se produire. Mais je t'en parlerai oui, si cette promesse peut te rassurer.
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- C'est le cas. A ce soir. Je vais aller en cours cet après-midi, mais je serai là au crépuscule. Merci, Shalimar.
Elle le détailla longuement, s'imprégnant de ses traits juvéniles. Elle eut envie de toucher ses cheveux sombres, visiblement humides. Elle aurait bien passé de longues minutes, plongée dans ses grands yeux noisette, qui inspiraient la confiance.
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- C'est lui qu'il faudra remercier, articula-t-elle. Il peut parfaitement tuer n'importe qui, même moi, apparemment (y repenser réveilla sa colère). C'est un miracle que tu sois encore en vie.
Il partit et elle alla extérioriser sa colère :
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- Tu m'aurais tuée, hier ! Gronda-t-elle d'une voix sourde.
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- Si ça peut te rassurer, je t'aurais pleurée.
Il paraissait sincère et cela la toucha, ce qu'elle n'apprécia pas. Elle avait passé trop de temps loin des siens. Cela l'avait fragilisée.
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- Tu dis ressentir le début de quelque chose pour moi, tâcha-t-elle de raisonner. Tu ne devrais pas simultanément être capable de me tuer.
Il se redressa sur les coudes et la fixa bien en face, le regard neutre :
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- Quel genre de chef serais-je si je ne m'appliquais pas mes propres règles ? On doit éliminer les dangers, le gamin était un danger, je n'avais pas le choix. On m'a choisi pour cela, Shalimar. Si le chef a trop de cœur pour ne pas châtier – et non tuer, d'ailleurs, j'avais un couteau et non un pieu ; si les sujets ne lui vouent pas une peur bleue, s'il laisse des brèches dans le système, alors certes, les sujets sont plus heureux, mais la meute est toujours en danger. Si je suis obligé de tuer ceux que j'aime alors je le fais, c'est mon rôle, c'est le sale boulot que chacun se plaît à me laisser. Vous me haïssez tous, pourtant personne n'a jamais voulu me renverser. Tout au plus les femmes ont elles essayé de modifier ma politique. Parce-qu'au fond, personne n'a envie de prendre ma place. Personne d'autre n'y arriverait. Personne ne pourrait se regarder en face en assumant mon rôle.