«Nous sommes au procès de Charles Rics, un incube inculpé pour quinze viols. Cette affaire a déchaîné les foules, il devrait avoir de nombreux enquêteurs libres. Son avocat est Thierry Fre, il est spécialisé dans les combats mais il n’est pas très fort au niveau des plaidoiries. Le procès se déroule toujours de la même manière, tout d’abord le juge opère un rappel des faits, puis les enquêteurs officiels interviennent, ils sont interrogés par le juge puis par la salle, chaque citoyen a le droit de poser autant de questions qu’il le souhaite. L’accusé et les victimes subiront le même traitement puis viendra l’heure des plaidoiries finales. Enfin sur les écrans certains enquêteurs citoyens viendront livrer le fruit de leur investigation. Ces personnes ont accès aux scènes de crime et aux pièces à conviction, Joseph m’a confié que cette affaire fut une horreur, une centaine de citoyens s’est bousculée à la pièce des dépôts pour voir le drap où Madame Lien s’est faite violée, ainsi que la mezzanine où la fillette à du subir les assauts de ce taré. Aujourd’hui nous assisterons aux plaidoiries finales et si elles ne sont pas longues au verdict. Au nom de la présomption d’innocence c’est l’accusation qui parle en premier. 

En effet l’avocat des victimes s’était levé.

- Nous avons de la chance il y en a qu’un, repris le Night, certaines fois chaque victime a son propre avocat, et chaque homme de loi répète exactement la même chose que le précédent et ça n’en finit plus. Par respect les juges ne les coupent pas, ils préfèrent dormir. Aujourd’hui seul Jim Rock plaidera, il est spécialisé dans la torture, un bon choix à mon avis.»

L’homme debout était vêtu d’une longue robe rouge, sur sa tête trônait un chapeau compliqué rouge et or en forme carrée.

«Charles Rics est un violeur multi récidiviste, voila les faits posés. Cela semble clair, mais les mots enlèvent l’horreur de ces actes, un violeur multirécidiviste et alors c’est moins grave qu’un meurtre. Laissez moi vous montrer les photos de ses victimes pendant que je parle, que mes mots n’enlèvent plus la répugnance de ces infractions. Non un viol n’est pas moins criminel qu’un meurtre ! Regardez cette femme, elle est jolie, elle est pleine de vie, voila ce qu’elle est aujourd’hui (une photo d’une femme amaigrie, perdue, apparut sur l’écran), et Lisa Gresse, cette étudiante pleine de promesse qui s’en souvient ? Regardez ce qu’elle est devenue ! ( la représentation d’une femme pendue se dessina sur le mur). Alors non, un viol n’est pas moins grave qu’un assassina (la photo d’une enfant riante fut projetée pour ponctuer cette phrase), un viol c’est juste une autre façon de mettre fin à une vie, certes c’est une mort plus insidieuse car la victime reste en vie, elle ne meurt qu’à l’intérieur. Mais osez dire que cela est moins grave car en apparence rien ne change ! Osez le dire à ces personnes dont la vie ne sera plus jamais la même ! Ces femmes ne demandaient rien à personne, elles avaient leur banalité, une vie routinière, qu’elles aimaient ou non, mais c’était leur vie. Et puis voila qu’un jour un homme débarque dans ces habitudes patiemment construites, il les frappe, les met à terre et dénude aussi bien leur corps que leur âme. Ce n’est rien, certes qui n’a jamais fait l’amour ? C’est un acte qui fait partie de cette routine dont je vous parlais, de ces habitudes rassurantes, celles que finalement on aime car elles survivent à tout. Mais pour ces femmes cet acte ne sera plus jamais anodin, elles ne feront plus l’amour joyeusement, chacune des tendresses de leur compagnon sera une torture, puis la souffrance s’atténuera c’est sur, mais est-ce qu’elle s’effacera ? Non. Regardez Matra, violée alors qu’elle rentrait chez elle, aujourd’hui chaque fois qu’elle enfonce la clef dans la serrure elle tremble de peur, pourtant retrouver la douceur de son foyer ne devrait pas être une épreuve de chaque jour ! Et madame Guarde qui n’ose plus prendre un ascenseur, elle a du déménager, fatalement monter quatorze étages à monter inlassablement ce n’est pas vivable. On peut dire qu’un viol ce n’est qu’une pénétration lorsqu’on est un sot, mais quand on est une personne sensible, raisonnable et faisant preuve d’un minimum d’intelligence on sait que ce n’est pas que ça, c’est infiniment plus. C’est une routine volée, une intrusion inacceptable dans la vie des victimes, je ne parle pas que de l’acte en lui-même, je parle de toutes ces nuits de cauchemars qui les hanteront pour la vie, de ces effluves qui vous soulèvent le cœur car il sentait la même chose, de ce rire qui vous vrille les tympans et qui ressemble tant à celui qu’il avait, d’un geste insupportable qu’il a fait alors que vous pleuriez et de cette peur qui englobe tout, qui paralyse l’âme et les sens. Je parle de cette difficulté insurmontable pour se remettre debout et avancer sachant que chaque pas, chaque geste cache peut être un souvenir qu’on voudrait oublier. Je parle de cette horreur sans non qui transforme une vie en lutte permanente. Et de ce silence honteux qui vous couvre aussi sûrement qu’un chape de plomb. De cette certitude plantée à jamais en votre âme : je ne dois pas en parler car c’est de ma faute, forcement c’est de ma faute comment une telle horreur sinon est possible ? Ma jupe était trop courte, mon pantalon trop moulant, mon décolleté outrancier, je l’ai provoqué, c’est de ma faute. Pourquoi les victimes se taisent ? Parce que c’est ce qui se passe dans leur tête, la coupable c’est elle et ces femmes cloîtrées dans le box là-bas devront à jamais vivre avec cette idée : qu’ai-je fait pour que ça m’arrive ? Et surtout, surtout je ne dois pas en parler car alors chacun découvrirait la poussière qui traîne en mon âme, j‘ai provoqué cela. Vous savez ce qui tue ces femmes ? C’est le silence, alors ne vous taisez pas, nous savons tous que ce n’est pas de leur faute. Vous me croyez peut être pas, c’est votre droit, mais même si cela peut paraître aberrant c’est pourtant la vérité, les victimes de viol, plus que toutes autres, endossent à jamais la culpabilité du crime. Il est tellement facile de dire j’ai été agressé, mais avez vous déjà vu une femme, hors l’enceinte d’un tribunal, dire, hurler, qu’elle a été violée ? Non, bien sur que non, on crie à l’injustice quand notre portefeuille disparaît et non quand c’est à leur vertu qu’on s’en prend, jamais une femme violée ne se confiera, pourquoi ? Car elle est coupable. Ce sont des faits, il sont posés, Monsieur Rics a reconnu quatorze des quinze viols laissant le dernier à la charge de Monsieur Lien qui se serait relevé de sa tombe pour honorer une dernière fois sa femme. Explication douteuse et assassine, comment se reconstruire après s’être faite violé par son époux tout juste défunt ! Mais j’ai déjà établi la gravité de ces actes, je n’y reviendrais pas. Monsieur Rics a tout reconnu, comment aurait-il pu ne pas le faire ? tous les indices convergent vers lui. Il a rencontré chacune de ces femmes, il était présent sur chaque scène de crime est son ADN trônait tel un étendoir sur les draps de chaque victime. Dans cette affaire mon travail est assez simple, je n’ai pas à démontrer la culpabilité du prévenu, les faits le font d’eux même. Est-ce que Monsieur Rics a commis ces actes ? Oui est la seule réponse possible. Non si je parle aujourd’hui ce n’est que pour vous convaincre que cet homme mérite la peine maximum, que ces actions ne peuvent être pardonnées, que ces actions méritent que la société se lève et hurle d’une même voix : à mort ! Car une dernière fois un viol n’est pas moins grave qu’un crime, et cela j’espère vous en avoir convaincu.»

Les crocs de la justice 60