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Le destin des immortels - nouvelle publication
Elle visualisa sa peur, l'attrapa à deux mains et la cacha dans un coin sombre de son esprit, où reposaient les plus sombres des fantômes de son passé. Ceux qu'elle n'aurait pas supporté de croiser dans le noir. Elle répondit en ces termes :
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- Diagnostic : je suis une femme ainsi qu'un vampire. Passe-moi du papier, s'il-te-plaît, Sofiane.
Il ne fut pas dupe, conscient qu'elle construisait cette assurance de toutes pièces. Comme il restait parfaitement immobile, suite à ce semblant d'ordre qu'elle venait de lui donner, elle comprit qu'elle venait d'aller trop loin. Elle souhaitait garder sa dignité face à ce maître dont elle n'avait eu de cesse que de s'affranchir. Mais elle avait à présent trop à perdre à ce jeu dangereux. Elle retint un soupir, puis tâcha de trouver quelque-chose à dire pour améliorer la situation. Elle se gratta la tête, se laissant aller à ce geste plus humain que naturel chez une immortelle. Cela ne pouvait que participer à ce qu'elle souhaitait traduire. Elle leva finalement les yeux sur le gris délavé des siens.
- Tu sais quels sacrifices j'ai dû encaisser pour en arriver là où je voulais être, commença-t-elle à mi-voix. Sofiane, c'est vraiment difficile pour moi. Je fais de mon mieux.
Il laissa s'écouler un instant. Puis il hocha imperceptiblement la tête. Il désigna le bar du menton. Alors qu'elle obtempérait en le rejoignant d'un pas raide, il s'éloigna d'elle pour chercher ce qu'elle avait demandé. Il lui donna de quoi écrire et elle commença à noter : « Claudia a le bon rôle, j'ai eu mille fois envie de te dire d’ECOUTER EN COURS, garçon. Hé, concentre toi ! Je ne sais pas à quoi tu penses, mais ça ne vaut pas la peine de rater ton année. Même si j'ai vu que tu es le seul à relire tes cours en rentrant à l'orphelinat. C'est bien, Sloan, je suis fière de toi. J'adore tes amis, mon petit doigt me dit que tu as eu de la chance de tomber avec eux. Toujours pas de regret, garçon ? Ce ne sera jamais trop tard pour retourner avec tes parents, rappelle-t-en toujours. Oh et dis au rouquin que s'il t'embête encore quelqu'un de dangereux viendra te venger. Je suis derrière toi. Fais de beaux rêves. Shalimar. »
Elle donna son mot au chef des vampires, la peur au ventre. Il haussa un sourcil et lâcha en lui rendant la feuille :
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- Enlève-moi le passage sur cette dangereuse personne, dépêche-toi.
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- Qu'est-ce que ça vous fait risquer, à la meute et toi ? Il ne pourra jamais savoir que c'était moi.
A mesure que l'immortelle prononçait ces mots, elle sut que le coup viendrait, n'ayant pas le droit de négocier. Un couteau jaillit mais elle hurla :
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- Attends !
Elle n'y avait pas cru, pourtant il baissa l'arme blanche, l'air interrogatif. Elle mit une poignée de secondes à se remettre de la peur panique qui l'aurait fait gémir si elle ne s'était pas retenue de justesse.
Elle réécrivit la lettre et remplaça le fameux passage par « Sache que je suis là dans l'ombre s'il s'en prend à toi. » Incertaine elle abandonna le mot et s'éloigna un peu. Sofiane ne put s'empêcher de sourire en la voyant faire, mais lorsqu'il vit la modification il perdit patience :
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- La prochaine fois que tu abuses de ma patience je reviens sur ce que je t'ai donné. Je crois t'avoir prévenue, Shalimar.
Tant pis, elle ôta purement et simplement le passage et inscrit un vague : « Quant au roux, tu verras un jour c'est toi qui impressionneras la galerie ». C'était bien, décida Sofiane. Shalimar le quitta pour revenir changée en loup quelques heures plus tard. En montant les très nombreuses marches avant de gratter à la porte, elle songea comme c'était difficile de voir le garçon pleurer en l'attendant, mais que pouvait-elle faire de mieux ?
Le vampire l'accueillit avec un plat de pâtes à la carbonara et en mangeant il lut la réponse à voix haute :
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- Je pense à toi, banane ! Hé, tu as apprivoisé une chauve-souris ?
Sofiane la fusilla du regard. Elle se sentit comme une cible dépourvue de toute intelligence. Les idées fusaient à son esprit, toutes centrées sur ses chances de survie selon la façon dont elle tenterait de fuir. Mais il se remit à lire. Elle s'attrista vaguement au constat qu'il n'avait même plus à agir pour lui donner une peur bleue. Elle perdait pied à pied l'indépendance qu'elle avait gagnée si durement autrefois. Elle retint laborieusement ses larmes, tâchant de se concentrer sur les mots de l'enfant :
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- Tu es trop forte ! T'as vu je suis trop nul en maths, mais je suis le premier en Français ! Oui les autres sont sympa, à l'orphelinat, et non, impossible de regretter, tu m'as tiré de là comme dans mes rêves, Shalimar. Tu en fais toi, des rêves où un très bel homme vient te chercher en impressionnant tout le monde sur son passage ? A ce propos les copains parlent beaucoup de toi. Quand est-ce que je te revois?
Le vampire tiqua sur ces deux dernières idées, allant jusqu'à s'arrêter pour jeter un regard grave à l'immortelle, qui la troubla beaucoup. Pourtant il continua de lire.
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- Je sais bien que tu es là, je sens ta présence, mais quand je te cherche des yeux je ne te trouve jamais, comment tu fais ? Qu'est-ce que tu fais, en ce moment ? Bisous, Sloan.
Sofiane prit le temps de détailler les effets du message sur les traits improbables de la vampire. Elle se sentait émue, à la fois de par la lettre du garçon et par la situation qu'elle trouvait difficilement supportable. Elle le laissa parler, parce que si elle prenait la parole, elle craignait de ne pas s'en sortir indemne.