Centaure d'un dieu, tous les articles.
J'avais l'impression de me retrouver seule dans une pièce de douleur. Je refermai les bras autour du torse du dieu meurtri à jamais. Il s'accrocha à moi, faible bouée de fortune. Peu à peu il perdit la voix, aussi fut-ce dans un chuchotement atroce qu'il finit par appeler son frère, comme s'il était devenu fou. Sa voix était vide.
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- Viens t'asseoir, fis-je, me sentant fléchir sous son poids.
Je le tractai jusqu'au salon, dans le silence étouffant qui avait remplacé ses hurlements. Il regardait le sol, plié en deux, les bras croisés sur son ventre.
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- Tu peux me parler, si tu veux, Gareth, murmurai-je précautionneusement.
Il renifla et un autre flot de larmes s'écoula de ses yeux cernés de gris. J'eus peur qu'il s'étouffe, et me sentis d'une inutilité déplorable.
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- Merci, pleura-t-il dans un très faible filet de voix.
Je m'allongeai par terre, devant le fauteuil où je l'avais assis. Puis je repris ses deux mains pour les caresser de mes pouces. Mais Gareth gardait clos ses yeux sombres, la tête sur les genoux. Un feulement retentit derrière moi.
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- Liane, souris-je en voulant lui gratter la tête.
Mais le griffon recula, peureux. Je fronçai les sourcils. Ce n'était pas elle. Cet animal était plus jeune que l'autre. Il était une miniature adorable de Liane. D'où venait-il, comment était-il entré ?
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- Joyce, sourit Gareth en prenant le griffon par la peau du cou, tu vas me manquer.
Le bébé piailla joyeusement tandis qu'à travers ses larmes le prince lui souriait. Liane vint le renifler et lui donna un coup de nez affectueux.
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- C'est adorable, souris-je au travers de ma tristesse et de mon inquiétude. Peux-tu m'expliquer, Gareth ?
Sa voix brisée prouvait que parler lui était douloureux, mais il le fit tout de même.
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- On ne sait pas trop. Ce dont on est surs, c'est que les griffons ne sont pas exactement ceux que l'on a perdus. Ils apparaissent et prennent pour maître la personne qui a le plus aimé le défunt. Presque tous les adultes sur Xivia ont au moins un griffon, en cela. Mais les animaux n'ont pas l'intelligence ni la mémoire de la vie passée du défunt. Tu vois, c'est un phénomène dont on ignore tout. Les griffons disparaissent comme ils sont apparus à la mort de leur maître, conclut-il.
Il ne cessait de cajoler la petite boule de poils et de plumes lorsqu'on entendit Liam rentrer. Je m'étais attendue à un soutien. J'étais moi-même dans un sale état. J'avais adoré Joyce. Le dauphin passa devant nous pour ranger son épée préalablement lavée. D'une voix faible et éraillée, il nous informa simplement :
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- Il n'a pas souffert. Il est à l'embaumement. Le légiste te fait dire qu'il ne sera visible que dans une heure.
Son aîné hocha la tête et tous deux se murèrent dans le silence. Au bout d'un moment, je demandai d'une voix incertaine et faible :
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- Est-ce qu'il y aura d'autres contaminés, parce que Joyce était à bord avec nous, Liam?
- Il me répondit succinctement que personne ne pouvait le savoir et que nous le saurions bien assez tôt, qu'il n'y avait plus rien à faire pour empêcher quoi que ce soit.
- J'eus le sentiment qu'il ne fallait pas insister. Je n'eus d'ailleurs pas les idées assez claires pour poser d'autres questions.
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- Le griffon ne doit-il pas manger ou boire ? Finis-je par demander, surtout pour briser le silence qui suivit sa réponse.
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- Ils ne se nourrissent pas, m'expliqua Liam. Ce sont en tous points des créatures mythiques. Ils sont là pour nous obliger à rester en vie, assura-t-il un peu plus fermement en direction du prince.
Il tendit les bras vers Liane qui s'était approchée, attentive. Je compris tout à coup la portée de ses paroles. Les griffons disparaissaient à la mort de leur maître. Si on aimait son griffon, or on le chérissait forcément, au vu des circonstances de leur apparition, on voulait les protéger d'un tel destin.